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GéMagazine n°183 : Jean Zay

Juin 1999

Avocat, publiciste, député du Loiret de 1932 à 1942, sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil en 1936, ministre de l'Education nationale du 4 juin 1936 au 10 septembre 1939, Jean Zay a présidé d'importantes réformes: recul de l'âge scolaire, multiplication des bourses, construction de nombreux locaux scolaires et création de classes d'orientation. Partisan de la Résistance dès juin 1940, Jean Zay fut poursuivi par le gouvernement de Vichy. La milice française, cette formation paramilitaire créée par Pierre Laval qui s'est illustrée par des exactions et des jugements sommaires au sein des Tribunaux spéciaux, s'est rendue responsable de son assassinat le 20 juin 1944 près de Cusset (Allier).

 

Deux pôles: l'Est et le Centre.

Né d'un père juif et d'une mère protestante, Jean Zay fut élevé dans la pratique de la religion protestante. Les origines géographiques des ascendants de Jean Zay font apparaître deux pôles: la branche paternelle, à l'Est, partagée entre l'Alsace et la Lorraine, et la branche maternelle, répartie dans la région Centre, sur les départements du Loiret, de l'Eure-et-Loir et du Loir-et-Cher.

Fils de Léon Zay, rédacteur au journal Le Progrès du Loiret, Jean Elie Paul Zay est né à Orléans. Son pére Léon Zay y avait vu le jour le 25 décembre 1874 dix mois après le remariage de son père à Paris. Léon Zay fut secrétaire du conseil des Prud'hommes, fut fait officier de la légion d'honneur, et décoré de la Croix de Guerre 1914-1918. Il est mort à Orléans le 31 mai 1945, moins d'un an après le meurtre de son fils.

 

Mariage religieux juif à Paris.

Elias Michel Zay (n°4), natif de Metz, s'allie sur le quatrième arrondissement ancien de Paris le 12 mai 1857 avec Mélanie Cerf. Il est alors domicilié 9 rue d'Ormesson. Mélanie Cerf est née à Blamont (Meurthe-et-Moselle) le 28 octobre 1828; elle est fille de Joseph Cerf et de Catherine Lièvre, et demeure alors rue Croix des Petits-Champs au numéro 10. L'acte de mariage fut reconstitué comme plus d'un tiers des actes parisiens, détruits lors des incidents de la Commune en 1870. Un neveu, Mr Lévy, employé de commerce domicilié boulevard St-Marcel n°22, dépose l'acte de mariage religieux et les actes de naissances des époux le 23 novembre 1887 afin que l'acte en question soit reconstitué. Le mariage figure de plus dans le relevé de Anne Lifshitz-Krams des mariages religieux juifs à Paris de 1848-1872.

 

Remariage à Paris.

Elias Michel Zay (n°4) a donc épousé à Paris en 1857 Mélanie Cerf. Cette dernière lui a donné deux enfants, Armand, né en 1859 à Orléans, et Léontine, née au même lieu en 1863. Elias Michel Zay, veuf de Mélanie Cerf, se remarie le 19 février 1874 à Paris 4è avec Hélène Lévy (n°5). Dans l'acte de mariage, il est qualifié de "marchand" et domicilié "rue du Poirier n°30 à Orléans". La future, marchande de son état, est elle-même veuve depuis le 21 juillet 1865 de Jules Abraham. Elle demeure avec son père, Jacques Lévy (n°10), lui aussi marchand, au n°15 rue de Turenne à Paris. L'époux est accompagné de Judas Lévy[1], âgé de trente trois ans, machiniste de chemin de fer demeurant boulevard de l'Hôpital n°16, et de Sylvain Zay, son frère, employé de chemin de fer, et demeurant rue Saint-Antoine n°103. Quant à l'épouse, elle est assistée d'un oncle, Heymann Lévy, et de son frère, Gerson Lévy, le premier marchand au n°161 rue Saint-Antoine, et le second, négociant, 214 rue Saint-Antoine.

 

Familles juives de Moselle.

Les familles Zay, Wimphen, Cahen et Israël sont des familles juives installées en Moselle. Dans "Contrats de mariage juifs en Moselle en 1792" de Jean Fleury, on relève quelques indications nous permettant des rapprochements. En effet, un décret du XVIIIème siècle exigeait que les contrats de mariage établis en langue hébraïque fussent déposés chez les notaires. Il en fut ainsi jusqu'à l'institution de l'Etat-civil. Nous relevons, entre autres, le contrat de mariage passé à Metz le 19 février 1790 de "Elie Moïse Zay, fils de feu Moïse et de Mindelet Halphen, et de Rachel Wimphen fille de feu Michel et de Chatelet Cahen". De même apparaissent les mariages de: "Mayer Moïse Zay fils de Moïse et de Maindelet Halphen, avec Foguelle Worms fille de Jacob Elie et de Sitié Trenel célébré le 27 octobre 1765 à Metz", et de "Salomon Moïse Zay fils de Moïse Salomon et de Madeleine Halphen, marié le 15 octobre 1766, avec Chaindelet Picard fille de Cerf Isaac et de Beylet Trenel". Si Salomon Moïse Zay est la même personne que Moïse Zay (n°32), et Madeleine et Maindelet Halphen, Mindelet Halphen (n°33), nous pourrions affirmer que Elie Moïse, Mayer Moïse et Salomon Moïse Zay sont frères. De même, la table des contrats de mariage établie aux noms des femmes, nous dévoile l'existence d'une soeur, Quélé ou Kélé Zay, mariée en premières noces le 16 août 1776 avec Michel Salomon Fould, qui veuve se remarie le 13 novembre 1785 avec Baruch Wimphen, fils de feu Michel et de Chatelet Cahen, son oncle maternel, semble-t-il? Le notariat de Metz renferme de plus à la date du 12 décembre 1738 le mariage de Moïse Zay, fils de Salomon et de Catherine Cracovie, et de Madeleine Halphen, fille de feux Mayer et de Sara Zay.

 

David Wimphen, banquier à Metz.

De même, un contrat de mariage fut signé à Metz le 24 janvier 1741 entre Michel Wimphen (n°34) et Chatelet Cahen (n°35). Michel Wimphen est le fils de David, un banquier, et de Catherine Halphen. Chatelet ou Chatlé Cahen est la fille d'un négociant, Olry Abraham et de feue Gendlé Oppenheim. Trois garçons et trois filles vont aussi passer un contrat de mariage: Baruch Wimphen le 13 novembre 1785 avec Kélé Zay; David Michel Wimphen le 25 janvier 1784 à Metzervisse avec Raitzé Cahen fille de Joseph Abraham et de Klick Wimphen; Olry Michel Wimphen le 22 février 1771 avec Rachel Cahen fille de Marc et de Bélé Francfort; Hindelet Wimphen le 8 décembre 1775 avec Salomon Mayer May fils de Mayer et de Elesienne Meisenheim; Rachel Wimphen avec Elie Moïse Zay; et Yentelet Wimphen le 21 mars 1769 avec Oury Oulif fils de Nathan et de Esther Cahen.

Michel Wimphen (n°34) eut au moins trois soeurs qui passèrent elles-aussi un contrat à Metz: Cathelé Wimphen le 19 février 1736 avec Salomon Emmerich fils d'Abraham et de feue Catherine Cahen; Guittelet Wimphen le 21 janvier 1739 avec Joseph Cerf Brisac; et Rachel Wimphen le 27 août 1732 avec Ely Worms fils de Olry et de Marguerite Deuche.

 

Cahen ou Kahn, patronyme fréquent.

Deux familles Cahen apparaissent dans l'ascendance de Jean Zay. Au milieu du XVIIIème siècle, l'une est localisée à Louvigny, l'autre à Augny, deux communes de l'arrondissement de Metz. Louis Cahen (n°36) fils de Salomon Cahen (n°72) et de feue Guitton ou Guitelin Cahen (n°73), a épousé par contrat le 2 décembre 1772 à Metz, Rachel Cahen, fille de Joseph Cahen (n°74) et de Sipert Gombertz (n°75). Une fois veuf, il épousa en secondes noces le 24 août 1788 Annelet Oulif, elle-même veuve de Salomon Gouguenheim. Salomon Cahen (n°72), fils de feu Nathan et de Rachel Brabac, originaire de Louvigny, épousa une fille d'Augny, Guitelin Cahen, fille de Lion dit le jeune, et de Guiton Lévy, le 29 janvier 1749 par un contrat passé au notariat de Metz. Autre Lion Cahen (n°148) y est négociant lorsque son fils, Joseph Cahen (n°74) régle son union le 12 novembre 1750 à Metz avec Sipour ou Sipert Gombertz ou Gompertz (n°75), fille de Elie et de Malquin Cahen. Ces relevés permettent ainsi de palier le manque d'archives familiales relatives aux familles juives. Il serait intéressant d'aller plus loin dans la recherche, et de vérifier les contrats de mariage en question.

 

L'Alsace, berceau d'un nombre important de familles juives.

Le décret impérial du 20 juillet 1808 entraîna la prise de nom patronymique des Juifs. C'est ainsi qu'à Odratzheim dans le Bas-Rhin, nous découvrons la famille Levi, plus précisément celle de Théodore Levi (n°20). La famille compte alors six personnes: Théodore Levi, Merlen Levi, Ellen Levi, Joseph Levi, Maria Levi et Jacob Levi. Ils prirent pour nom patronymique Levi. Ils seront appelés désormais: Levi Théodore, Levi Magdalena, Levi Helena, Levi Joseph, Levi Marian et Levi Jacob. Le petit dernier prénommé Jacob est sûrement l'ascendant de Jean Zay, Jacques Levy (n°10) né le 19 octobre 1807 à Odratzheim, soit quelques mois seulement avant le décret.

De même à Ettendorf, la famille Gradwohl ou Gratwohl se compose du chef de famille, Mayer Leeb Gratwohl, de l'épouse, Jeres, et de deux filles, Keilen Gratwhol et Ellen Gratwhol. Ils optèrent pour le patronyme Gratwhol, et se firent prénommés: Mayer Leeb, Jeres, Katarina et Helena.

 

Familles beauceronnes protestantes.

La famille maternelle de Jean Zay est de religion protestante. Alice Julie Chartrain (n°3) est la fille d'un courtier de commerce, la petite-fille d'un ouvrier en laine, l'arrière petite-fille d'un berger de Villeneuve-sur-Conie (Loiret) et l'arrière-arrière-petite-fille d'un laboureur de Nottonville (Eure-et-Loir). L'ancêtre le plus lointain est Louis Chartrain (n°96) qui eut de son épouse, Claudine Pelé (n°97) au moins un fils, Pierre Chartrain (n°48). Ce dernier, né à Nottonville le 10 mars 1749, épousa le 27 février 1775 une payse Marie Jeanne Leboucq, fille de Marin et de Marie Marchand.

Pierre Rivierre (n°104) avait épousé Denise Réau dont un fils, Louis Rivierre (n°52), né à Guillonville (Eure-et-Loir) le 24 octobre 1740. Laboureur, il a épousé une parente Marie Anne Lefort (n°53) le 20 avril 1773. Jean Etienne Rivierre (n°26) né au hameau de Gaubert à Guillonville, épousa à Viabon (Eure-et-Loir) Véronique Sophie Robert (n°27) fille d'un laboureur, Louis Robert (n°54), qui avait convolé avec Marie Françoise Couvret (n°55). Son pére, Claude Couvret (n°110) était lui-même laboureur. Tous travaillaient la terre, car qualifiés de laboureurs, il semble qu'ils pratiquaient la religion dite réformée.

 

Vignerons protestants de la région de Blois.

L'édit de Nantes de 1598 installe à Mer une église réformée. La révocation de l'édit de Nantes en 1685 entraîne la disparition de tout état civil pour les protestants. Avec l'édit de Tolérance de 1787, c'est un nouvel enregistrement qui se fera entre autres au tribunal du district de Mer jusqu'en 1792. Aux archives départementales du Loir-et-Cher se trouvent des registres reprenant les baptêmes, mariages et sépultures des protestants au Temple de Mer de 1598 à 1683. C'est dans cette paroisse de Mer qu'ont vécu les ascendants de Jean Zay, les Maingourd, Belton, Lemaire et Grillon, tous protestants et qualifiés de vignerons.

C'est ainsi que le baptême de Samuel Maingourd (n°112), vigneron à Mer, né en 1736, ne fut transcrit qu'en 1760 par le curé de Mer. Il y est dit "né de père et mère qui ont toujours vécu et sont morts dans la religion protestante, luy-même aujourd'hui protestant". En juillet 1765 il régle son union avec Catherine Loizon devant le notaire de Mer, et se rendra à Tournai en Belgique pour faire bénir son mariage. Jean Samuel Maingourd (n°56), le fils, vigneron à Mer, est né le 19 septembre 1766. Sa naissance est enregistrée dans le registre paroissial catholique de Mer; les enfants des protestants devant être baptisés à l'église catholique sous peine d'amende. Son mariage fut célébré secrétement "au désert" le 7 avril 1787 avec Madeleine Piger.

 

Installation et intégration à Orléans.

Les activités d'un Juif sous l'Ancien Régime étaient très limitées. Il pouvait "être rabbin, mais aussi faire le commerce de chevaux, vendre de la viande, faire le commerce des vieux métaux, des vieux vêtements, le plus souvent en colportage, et prêter de l'argent à intérêt". C'est ainsi que dans les ascendants de Jean Zay, nous situons un banquier, David Wimphen (n°68), un marchand de chevaux, Lyon Louis Cahen (n°18), des commerçants, et des marchands fripiers. Le grand-père de Jean Zay, Elias Michel Zay (n°4), est marchand colporteur en mercerie.

Quant à la branche maternelle, ses représentants sont impliqués dans la vie de leur communauté religieuse, puisque plusieurs d'entre eux sont conseillers presbytéraux, et travaillent la terre, soit comme laboureurs ou vignerons.

L'installation à Orléans d'Elias Michel Levy (n°4) est aussi une nouvelle manière de vivre puisque l'on peut parler de sédentarisation, passant d'une génération à l'autre, de marchand colporteur à rédacteur dans un journal local, allant même jusqu'à s'intégrer complétement dans une société protestante en s'alliant avec la fille d'un conseiller presbytéral.

 

Bibliographie:

"Mariages religieux juifs à Paris 1848-1872" données recueillies par Anne Lifshitz-Krams. Edité par le Cercle de Généalogie Juive. Paris 1996.

"Contrats de mariage juifs en Moselle avant 1792" de Jean Fleury. Edité par le Cercle de Généalogie Juive. Paris 1997.

"Recueil des déclarations de prise de nom patronymique des Juifs du Bas-Rhin en 1808" de Pierre Katz. 4 tomes. Edité par le Cercle de Généalogie Juive. Paris 1997.

"Mémoire juive en Alsace - contrats de mariage au XVIIIème siècle" de A.A. Fraenckel. Editions du Cédrat. Strasbourg 1997.

"A la recherche des ascendants de Jean zay" de Micheline et Jean Muzeau. Edité par le Loiret Généalogique. 1992.

 

[1] Dans "Mariages religieux juifs à Paris 1848-1872" de Anne Lifshitz-Krams figure le mariage de Zay Clara domiciliée 8 rue d'Ormesson et de Lévy Judas, domicilié Grande Rue, à la date du 31 mai 1863.